Couverture du roman "L’Étreinte du roncier"
Couverture de L’Étreinte du roncier.

L’Étreinte du roncier est le deuxième roman de l’autrice Manon Segur, autrice dont j’ai déjà parlé ici. (Bon, c’est encore un de ces articles qui, selon moi, ont vieilli, mais soit !) Comme pour Le Cloître des Vanités, on évolue dans une ambiance gothique à souhait. On suit le personnage de Célia, femme solitaire, alcoolique et lourdement traumatisée par les horreurs de la guerre, ainsi que ses voisin-es haut-es en couleurs dans le petit village de Rocagne. (En passant, j’aime beaucoup les noms que Manon Segur donne à ses lieux fictifs !) Un coin plutôt tranquille jusqu’au jour où réapparaît un tortionnaire de Célia, pourtant censé être mort.

Au programme : un vieux manoir, des meurtres, des personnes d’autant plus pourries qu’elles ont du pouvoir… et des pierres. Et la pierre, à tout jamais.

Si vous connaissez un peu mon processus créatif, vous savez que j’ai tendance à m’attacher très fort à des personnages de fiction. Manon Segur s’est, comme Loki pour L’Envol du Corbeau, inspirée de créations qu’elle aimait. Par le plus grand des hasards, je les aimais aussi. Des attachements communs que je ne vous dévoilerai pas ici (je ne suis pas certain que tout le monde fonctionne comme moi !) mais qui ont alimenté mon intérêt pour L’Étreinte du roncier. On ne se refait pas !

La première chose que j’ai notée, c’est la texture de la plume. Bon, je fais un peu de synesthésie, à ce qu’il paraît. Mais oui, j’ai senti l’atmosphère du récit et des lieux à travers les mots. A mois que les images évoquées ne soient juste très fortes ! En tout cas, j’ai beaucoup aimé. Le style de Manon Segur colle au côté gothique des histoires qu’elle raconte – ce qui veut dire qu’il est assez lyrique et fourni ! Il demandera peut-être un peu de concentration à la lecture pour ces raisons. Manon Segur est fan d’auteurices comme Daphne du Maurier ou Victor Hugo, et ça se sent !

Si L’Étreinte du roncier se résumait à sa belle plume, je n’aurais probablement pas pleuré trois fois à la lecture. Je peux bien évidemment vous parler des personnages imparfaits, touchants et tourmentés, qui donnent vie au récit. Mais aussi et surtout, du traitement de l’amour dans ce roman. J’ai un rapport particulier à ce sentiment. Je n’aime la romance que quand elle n’est pas hétéro, je trouve les représentations habituelles de l’amour romantique très toxiques voire dangereuses, et je suis sur le spectre aromantique, en plus.

Le thème de l’amour était déjà présent dans Le Cloître des Vanités. Le traitement qu’en faisait alors Manon Segur m’avait fait plaisir : renoncement à l’envie de posséder l’autre, bienveillance, altruisme… Les personnages apprenaient beaucoup de ce sentiment. Ils en tiraient des enseignements qui les faisaient grandir. Dans L’Étreinte du roncier, c’est aussi le cas. L’amour, romantique ou non, y est pluriel, complexe et, il faut le dire, sacrément beau. Passée une ligne du chapitre 1 qui m’a un peu effrayé, où on se retrouvait sur le versant possessif du sentiment, j’ai pu en lire des choses qui m’ont bien davantage parlé. Le fait qu’aimer une personne n’efface rien des anciennes relations. Le fait qu’on puisse aimer quelqu’un-e d’autre qu’un être qui nous serait destiné, une “âme-sœur”. Tout ce que ces “révélations” (et d’autres), si je puis dire, peuvent nous apprendre.

Ça, c’est pour ce qui m’a ému. Mais on peut aussi parler de la façon dont l’autrice parvient à nous perdre dans les méandres de l’esprit de son héroïne. La deuxième partie de L’Étreinte du roncier est, en ce sens, très perturbante. Célia nous décrit son rêve, ou sa réalité, sensation par sensation, impression par impression. On voit défiler des plans, des ressentis en parvenant à peine à poser le doigt dessus. Finalement, on n’a pas d’autre choix que de se laisser porter afin de voir où l’histoire veut en venir. Que l’autrice d’un livre fasse suffisamment confiance à son lectorat pour ne pas toujours le prendre par la main, ça me plaît ! Mais ça divisera, et c’est tout à fait normal. Dans tous les cas, Manon Segur sait ce qu’elle fait, et ça fonctionne pour moi.

Je vais dire quelque chose qui va sonner cliché, mais je vais le dire quand même ! Le style de L’Étreinte du roncier a évidemment un côté “vieilli”, qui manquera peut-être de modernité pour une part du lectorat. Mais le fond, moderne, il l’est souvent ! Parfois un peu trop, parfois maladroitement (je pense au début du chapitre 13 qui trébuche un chouïa dans son propos, mais certainement pas à la représentation queer par exemple, qui n’a rien d’anachronique, merci à vous). Bien sûr, je pense à ce que L’Étreinte du roncier nous dit de l’amour. Et une fois encore, c’est quelque chose que j’aime beaucoup chez Manon Segur. Cette capacité à placer dans un contexte ancien ce qui nous parle, à notre époque… et aurait probablement parlé à l’ancienne aussi, mine de rien !

Je conclurai cette chronique sur une note un peu triste. En effet, à l’heure actuelle, L’Étreinte du roncier est indisponible à la vente. Il cherche une nouvelle maison d’édition depuis la fermeture de Crin de Chimère. Alors si vous l’avez aimé, ou si cet article vous a donné envie, faites passer le mot, de toute urgence. Ce roman mérite sa deuxième chance, de même que son grand frère, Le Cloître des Vanités.

Pour les jeunes auteurices francophones ! ✊