C’est avec Ghostland que j’inaugure la rubrique cinéma de ce blog. J’avais commencé à écrire de petites chroniques sur Instagram, et c’est le post que j’ai publié sur ce film qui m’a décidé à passer au format article. Moi qui venais juste donner mon humble avis, je me retrouvais avec plein de choses à dire. J’ai hésité à le faire, n’ayant pas la prétention de fournir des analyses ultra poussées, et puis… Et puis parfois, une œuvre vous pousse à vous exprimer davantage. Sur sa réception dans un contexte particulier, en ce qui me concerne. En espérant que cela vous intéresse – mais attention aux spoils !

Comment Ghostland m’a émotionnellement purgé

Vous avez vu Martyrs ? Moi oui, et ce fut assez éprouvant physiquement. Il fait partie des films dont j’ignore si je les ai aimés ou non. J’en ai retenu une brutalité extrême, notamment envers les corps féminins, et un nihilisme que j’ai trouvé assez vain (mais l’article de Bon Chic Bon Genre me fait reconsidérer un peu la chose, on y reviendra). Et dans le même temps, je découvrais peu à peu ma proximité avec le body horror. Aujourd’hui encore, je continue de chercher un écho à mes angoisses corporelles. Dysmorphophobie, angoisse obsédante de la douleur et autres terreurs existentielles. (Bon, pour les deux premiers, j’ai aussi commencé à me faire tatouer, ça aide !)

C’est donc en sachant à peu près où je mettais les pieds que j’ai vu Ghostland. J’avais vu The Secret, aussi, il y a des années – parce que Jodelle Ferland joue dedans ! – mais j’avais complètement oublié que Pascal Laugier l’avait aussi réalisé. Pourtant, on y retrouve une patte, et notamment cette façon de couper ses films en deux parties, après une révélation qui rabat les cartes. Dans Ghostland, elle aurait des allures de facilité si elle n’était pas exploitée par la suite.

Ghostland, c’est l’histoire d’une mère de famille, incarnée par une Mylène Farmer incroyable, qui part habiter dans une vieille maison avec ses deux filles, où toutes trois vont subir une agression particulièrement violente. Elles en ressortiront traumatisées. L’aînée, Beth, conjurera ses démons dans des romans d’horreur (👀). Vera, sa sœur, ne s’en libérera jamais.

SAUF QUE, attention plot twist : les deux adolescentes n’ont jamais quitté la cave où leur mère est morte cette nuit-là. Se lance alors une mécanique impitoyable qui nous entraîne dans le cauchemar des héroïnes. Dans un monde qui nous broie. Une seule échappatoire : l’imagination, notre monde intérieur. Parce que comme le dit Pauline (Mylène Farmer) à sa fille : il n’y a rien pour elle au-dehors.

Le rapport de Ghostland à l’imaginaire… et à la réalité

C’est assez simple et visible un peu partout en fiction, cette notion d’imaginaire “escapiste”. D’ailleurs, on en parle encore un peu, notamment dans mon milieu professionnel, où on reproche parfois aux auteurices d’imaginaire de fuir la réalité du monde. (D’ailleurs, dans sa réalité alternative, le meilleur roman de Beth raconte l’enfer qu’elle a vécu…) Évidemment, c’est à côté de la plaque, ne serait-ce que parce que toute fiction nous parle aussi du monde réel. Mais aussi parce que se retirer dans ses mondes intérieurs est parfois une véritable question de survie.

L’esprit de Beth dans Ghostland s’est ainsi quasiment divisé en deux. Deux perceptions, deux réalités, deux univers dont l’un n’a pas forcément plus d’importance que l’autre. Beth peut complètement abandonner sa réalité physique pour son rêve intérieur. Si ça peut correspondre à une condition mentale éprouvée scientifiquement ? Étant donné la représentation des troubles mentaux par Laugier, que ce soit dans Ghostland (on va y revenir) ou dans Martyrs, je ne pense pas que le réalisme soit son souci. Cela dit, ça résonne avec ce qui est à la fois un fantasme et une angoisse. Perdre tout contact avec un monde trop violent, se retrancher en soi-même, là où on garde un contrôle et une agentivité… ou l’avoir déjà perdu. Se réveiller un jour des années en arrière, et prendre conscience que rien de ce qu’on a accompli jusque-là n’était réel. Que rien n’avait la moindre importance.

Comment revenir en arrière ? Comment retourner dans son monde en sachant qu’il n’est qu’une chimère ? Beth se voit obligée de revenir, encore et toujours, à l’horreur, pour au moins être là pour sa sœur, coincée physiquement et mentalement avec leurs bourreaux. Son imaginaire ne semble alors qu’un rêve égoïste, une échappatoire sans finalité. Elle s’y abrite sans pour autant y trouver de ressources1. Et finalement, elle doit faire un choix entre la réalité et sa fiction. L’intérêt de sortir de soi pour se relier au collectif, et faire face…

Sauf que 1) en tant qu’auteur, je ne suis pas tout à fait d’accord avec cette vision de l’imaginaire comme repliement sur soi sans finalité, et 2) Beth ne rejoint sa sœur Vera dans la réalité… que pour souffrir avec elle2. Une traduction claire du sentiment d’impuissance, bien sûr, qui fait catharsis. Et en même temps…

Mon problème avec Ghostland

Avec Ghostland et les commentaires très intéressants que j’ai reçus sous mon post, j’ai eu la confirmation que Pascal Laugier avait, disons, un truc avec la torture des corps féminins. (Et l’accident qui s’est produit sur le tournage de Ghostland soulève quelques questions à ce sujet, bien que le réalisateur ne soit pas visé par la plainte de Taylor Hickson.) Ajoutons à cela la caractérisation transmisogyne de l’un des personnages et celle, validiste, de son protégé, représenté comme violent à cause de son handicap mental, et… ouais. On a un souci.

Et scénaristiquement, c’est facile. OK, je suis adepte des récits très character driven, comme Stanley n’est pas mort en est la preuve ! Mais là, très clairement, on est sur des antagonistes faciles à utiliser pour créer une tension, et ce depuis longtemps dans l’histoire du cinéma. L’horreur de l’incompréhensible, dans ce qui est alors dépeint comme trop éloigné de l’humanité telle qu’on la conçoit. (Oui, les représentations de ce type au cinéma, c’est dangereux, et montrer ce qui est différent comme menaçant, ça peut aller jusqu’au fascisme.)

Alors que. Si Ghostland avait voulu faire dans la dénonciation – comme c’est le cas de Martyrs d’après l’article de Bon Chic Bon Genre cité plus haut – ce sont des hommes tout à fait conscients de leurs actes qu’il aurait fallu dépeindre, d’autant que le film représente aussi des violences sexuelles (qui, pour le coup, ne me font aucun bien : si les scènes de torture sont assez excessives pour être éloignées de la réalité d’une grande partie du public cible3, ce n’est pas le cas du viol). Est-ce que ça aurait dilué le sentiment d’implacabilité ?

Je ne pense pas. D’ailleurs, ça aurait pu affirmer une reprise de pouvoir lors du dénouement qui, en tant que tel, achève de priver les héroïnes d’agentivité. Leurs tentatives d’évasion ont échoué, mais on vient les sauver. Ce qui peut bien sûr être nuancé, dans la mesure où si elles n’avaient rien tenté, la police ne les aurait pas retrouvées. Police qui abat les antagonistes, dont on a parlé plus tôt. L’autorité établie contre les déviances… Mouais.

Ghostland, la réception de l’art, et les personnes qu’on aime

“Mais tu as aimé ton visionnage, non ?” Oui, oui. Ça m’a émotionnellement purgé. Ça m’a aussi dérangé. Les deux ne sont pas incompatibles, plein·es de contradictions que nous sommes. Et pour Martyrs, pareil. Lui, comme écrit plus haut, je ne peux même pas dire si j’ai aimé ou non. Mais des visions m’ont marqué, inspiré, permis d’extérioriser.

Avec le temps, je me rends compte que je suis meilleur public pour les films que pour les livres. La déformation professionnelle, peut-être. Je saisis de mieux en mieux comment un roman fonctionne. Je vois les rouages derrière l’histoire. Les émotions m’atteignent de moins en moins à la lecture. C’est aussi pour ça que je suis aussi enthousiaste, quand je trouve enfin un bouquin qui me fait vibrer, qui me fait ressentir des trucs, sans pour autant servir de Cheval de Troie pour des idées nauséabondes. Peut-être qu’avec un film, toutes les émotions sont plus concrètes ? J’entends plus de gens dire qu’un film les a fait pleurer, plutôt qu’un livre.

Bref, sur moi, le cinéma, ça marche. Et c’est pour cette raison que j’ai mis autant de temps à lancer cette rubrique sur mon blog. J’avais peur que mes émotions m’empêchent d’analyser les choses. Sauf qu’avec le temps (et la thérapie), ma gestion de celles-ci s’améliore. Donc je peux prendre du recul sur elles et en tirer quelque chose de réfléchi !

Il y a des œuvres comme Ghostland pour lesquelles j’aurai un attachement, tout en ayant conscience de leurs problèmes – qu’ils soient scénaristiques, politiques, esthétiques… Je suis très sensible à l’esthétique, d’ailleurs. Et aux émotions que les personnages, les acteurices, transmettent. En tant que personne très, très empathique, c’est un peu ma kryptonite. J’ai tendance à beaucoup aimer les gens !

Du coup, comme indiqué dans le titre de cette conclusion, j’ai envie de faire un parallèle avec les relations humaines. Il est peut-être un peu éclaté, ou juste évident – je ne sais jamais, quand je tente de genre de lien ! Bref, pour moi, les films, c’est un peu comme mon entourage. Les films que j’aime sont un peu comme les personnes que j’aime. Beaucoup d’émotions, beaucoup d’imperfections, parfois il faut avoir de très sérieuses conversations et parfois… Eh bien, quand ça devient trop problématique d’une manière ou d’une autre, il faut juste lâcher. Ce qui ne vous empêche pas de ressentir quelque chose, encore des années après. Ghostland m’a fait ressentir des choses très fortes. Le personnage de Pauline est incroyable. Mais est-ce que, consciemment, je recommanderais ce film, au-delà de la simple question de sensibilité à l’horreur ?

On a sans doute besoin d’œuvres qui nous “purgent” comme ça. Et en même temps, si une autre personne avait réalisé Ghostland, je me serai probablement senti mieux. Le regard de Laugier n’est pas toujours dérangeant dans le bon sens du terme. De plus, on ne peut pas ignorer ce qui est arrivé à Taylor Hickson, et visiblement peu l’ignorent, puisque beaucoup de spectateurices de Ghostland en parlent encore. Pour toutes ces raisons, malgré ce qu’il m’a aidé à extérioriser, je considère ce film avec beaucoup de méfiance. Quand je le reverrai, ce sera probablement de manière très clinique.


  1. Sauf après coup, puisqu’il semble que Beth continuera à écrire après son sauvetage pour guérir. Son meilleur roman selon le film sera autobiographique, mais apparemment, écrire de l’horreur l’aide pour de vrai ! La fonction thérapeutique de l’imaginaire pour soi-même est assumée, dans tous les cas. ↩︎
  2. Après son premier retour à la réalité, Beth élabore un plan d’évasion qui réussit presque, comme dit plus loin dans l’article. Puis suite à cet échec, elle revient à son monde intérieur, où sa mère, lui dit qu’il n’y a “rien pour [elle] là-bas. L’imaginaire n’apparaît, une fois encore, pas comme une ressource, mais un refuge face à un monde qui ne laissera aucune chance aux deux sœurs de s’en sortir. Oublier ou souffrir, seules existent ces possibilités. ↩︎
  3. Parce que ce public cible n’a, en grande majorité pas vécu ce genre d’actes, alors qu’ils existent indubitablement ailleurs et que leur représentation au cinéma (hors ownvoice) est sans aucun doute bien loin des réalités. La question a dû être étudiée, notamment par les victimes – faut que je creuse. ↩︎
Catégories : BlogCinéma

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