L’Autre Côté, c’est l’histoire torturée de Will, un quinquagénaire au caractère exécrable qui vit seul suite à un divorce difficile. Il n’a que la compagnie de son chien, Narrok, et celle de sa fille Cally, quand il a la chance de pouvoir veiller sur elle. Le reste du temps, il boit. Il boit pour oublier sa solitude, son passé de policier et ses échecs en tant que mari et père. Il boit pour oublier le suicide de son fils aîné, Thomas, si toutefois il s’agit bien d’un suicide. Et autour de lui, dans le bois de Boscmort, les fantômes errent et la Bête rôde. Will la connaît. Reste à savoir ce qui les lie, et pourquoi elle a décidé, un beau jour, de lui arracher sa fille, et avec elle, les derniers espoirs d’une famille détruite par la douleur.

En parallèle, Alex, dont Will était autrefois le collègue et le meilleur ami, est devenue commissaire de police. Chargée de l’enquête, elle tente de séparer au mieux vie personnelle et vie professionnelle. Son travail dévore sa vie entière et les instants de répit sont rares. Sans compter qu’elle doit gérer les bêtises de ses collègues masculins en prime. Entre l’impulsivité des uns, l’incompétence des autres, une enquête difficile et ses propres problèmes, Alex peine à garder la tête hors de l’eau.

Sinon, il y a aussi Ewen, le jeune bleu plein de bonne volonté (et d’une choupitude extrême) ; Abby, médecin légiste de son état et meilleure amie d’Alex (“meilleures amies” mais en ce qui me concerne, je les shippe depuis longtemps) ; Aris, l’ex-femme de Will, brillante avocate et mère aussi protectrice que déterminée ; Laurent, son nouveau compagnon, collègue ingérable d’Alex par son impulsivité et sa tendance à la bêtise ; et aussi le juge Lagarde, insupportable boomer misogyne, incapable de la moindre remise en question, et adepte du harcèlement de suspect-es en salle d’interrogatoire. Du harcèlement tout court, quand on y réfléchit. (Oui, je le hais.)

Les personnages de L’Autre Côté sont criants de réalisme et de vie, notamment Will. Criblé de défauts et monumental couillon, il attire inévitablement l’empathie et même la sympathie. Ce personnage est d’une complexité presque douloureuse. J’ai rarement souffert à ce point avec un-e fictifve, souffert à en avoir mal au ventre.

Car nous arrivons là à l’une des principales caractéristiques de L’Autre Côté : sa violence psychologique. Chaque foutue phrase vous retourne le cœur et les tripes. Will est un homme brisé, que seul l’amour qu’il a pour sa fille maintient encore en vie. Le traumatisme causé par la mort de son fils l’empêche pourtant de vivre pleinement cette relation, jusqu’à ce qu’il soit trop tard. A partir du moment où commence sa quête, le temps passe aussi lentement pour nous que pour lui. Et ça fait mal, putain, de le voir souffrir comme ça. Ce que ça fait mal, de ressentir ça avec lui.

J’aurais tant de choses à dire sur ce que j’ai éprouvé avec Will. Mais je vais me contenter de ceci : j’ai un personnage, Archie, qui apparaît dans le tome 2 – ou 3, on verra quand il se sera décidé – de Stanley n’est pas mort. Il me fait penser à Will par certains aspects. En tout cas, mon cerveau a fait l’association, peut-être parce qu’ils partagent une tranche d’âge et une douleur. Chacun son traumatisme, mais ils souffrent un peu de la même manière. Leur gestion de cette douleur est la même à peu de chose près. Et ça, ça m’a servi.

Parce que je ne sors jamais indemne de la lecture d’un chapitre de L’Autre Côté. Il me faut parfois une journée pour m’en remettre. Si quelque chose m’y aide, c’est l’écriture du personnage d’Archie. Écrire des scènes, des bribes de son histoire, est le meilleur moyen pour moi d’extérioriser la souffrance de Will que j’absorbe telle une éponge.

Et les passages où nous suivons Alex sur son enquête et ses découvertes à propos de Will nous font mal, aussi. Parce qu’on anticipe sa douleur, et celle de Will, pour qui on espère une happy end sans trop d’espoir. Alex est moins directement concernée par l’enquête, ce qui rend l’implication émotionnelle de lae lecteurice moins évidente. Or sa fatigue, sa frustration et sa culpabilité sont bien réels. Le lien que nous tissons avec elle est plus progressif, plus ténu mais plus solide. Comme une relation paisible et saine avec une véritable amie, en comparaison à celle qui nous unit à Will, destructrice, passionnée et fusionnelle.

Le style de Mary Fleureau attrape votre cœur et l’enserre dans ses griffes glacées. Ses images sont fortes, saisissantes. Parfois elles se répètent, enfonçant le clou plus profondément encore. L’autrice réalise le tour de force de nous rendre l’attente insupportable et la peine intolérable. Elle nous gratifie de cliffhangers d’une implacable cruauté. Dans L’Autre Côté, leur effet est indiscutable. D’autant que je suis la progression du roman en “direct” (un chapitre par semaine, PUTAIN !).

Les descriptions, quant à elles, sont particulièrement réussies dans leur utilisation des cinq sens, et parfois singulières. Je pense à ces scènes vues (et senties) à travers le regard (et la truffe) de Narrok, une manière fort bien pensée et ludique de décrire l’intérieur d’une maison ! Les sensations du chien font toute la différence à la lecture, ainsi que l’attachement de nombreuxes lecteurices aux animaux. Ces passages apportent une forme de légèreté, bouffées d’air frais dans cette atmosphère pesante. Narrok est un personnage à part entière que je retrouve toujours avec plaisir.

L’Autre Côté n’a pas l’ambition de casser les codes. Il se rapproche de L’Envol du Corbeau dans son approche du thriller. Plutôt que de chercher l’originalité à tout prix, il choisit d’exploiter lesdits codes, de construire quelque chose dessus. Le genre constitue les fondations de l’histoire, comme cela arrive quand on se lance dans l’écriture d’un livre. Et, finalement, on crée une œuvre unique par les thèmes traités, par ses personnages, par son impact émotionnel, par son usage des mots. L’Autre Côté a des choses à nous apprendre. Sur les gens, sur la vie, sur la dépression, sur la charge mentale, sur l’attachement, sur la famille, sur l’amour. Sur l’écriture, aussi.

L’Autre Côté puise sa force dans dans son humanité et dans son authenticité. Ce roman est un concentré de sincérité pure et de puissance évocatrice. Ça fait mal, ça vous colle des tartes en pleine poire, ça vous émerveille, ça vaut terriblement le coup de tenter l’expérience.

Lire L’Autre Côté [EDIT : L’Autre Côté est publié, rendez-vous sur le site de l’autrice !]

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3 commentaires

Moro · décembre 3, 2021 à 5:07 pm

Je me remets toujours pas de cette chronique en vrai polalalalala

La communauté de l'horreur - Malone Silence · janvier 30, 2024 à 8:04 pm

[…] Autrice de bangers dont j’attends avec impatience le second roman ! Elle écrit de l’horreur pleine d’émotions, aussi profonde que déroutante, et en plus il y a des chiens ! Vous pourrez trouver des nouvelles gratuites sur son site, notamment Beau, dont je ne me suis jamais tout à fait remis et qui m’a beaucoup parlé. Tout comme je ne me suis pas remis de Will, l’inoubliable personnage de L’Autre Côté. […]

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