Je voulais vous parler de Salted Wound depuis longtemps. Le truc, c’est que je ne savais pas trop comment – en plus de procrastiner, mais c’est une autre affaire. Parce que, de base, Star Wars n’est pas mon fandom de prédilection. Ça ne m’empêche pas d’en lire des fanfictions, la preuve ; pour me faire un avis par rapport à l’univers de base, c’est plus complexe. Mais est-ce qu’il faut vraiment mesurer la qualité d’une fanfiction à sa fidélité au canon ? Pour ma part, ma distance par rapport à Star Wars me permet de passer totalement outre. Reste que, tout de même, la manière dont les personnages sont exploités dans Salted Wound pourrait, il me semble, intéresser la fanbase, surtout sa branche la plus attachée à la dimension psychologique.

L’histoire commence avec un personnage dont je n’avais même pas entendu parler jusque-là. Il s’appelle Armitage Hux et il couche avec une femme du nom de Raene Inkari. Pas question de sentiments ici ; du moins, il s’en protège. Bref, un homme, lacéré de failles narcissiques et, il faut le dire, une personne très peu recommandable. Salted Wound nous fait contempler un personnage et un couple dysfonctionnels dans ce qu’ils ont de meilleur et de pire. Surtout de pire, à vrai dire. L’autrice le dit elle-même :

J’aime écrire sur les méchants, les bizarres, les tordus et les dépressifs, ceux que personne n’aime. Soulever le pansement pour voir la plaie, et appuyer là où ça fait mal. […] Je voue un amour tout particulier aux romances sordides, de celles qui font froncer les sourcils. Plus c’est mal, plus c’est intéressant. Ça vaut tant pour mes lectures que pour mes textes, d’ailleurs.

Scribay

Salted Wound peut-elle être qualifiée de dark romance ? En tout cas, du peu que je sais du genre, ça me paraît approprié. Il faut toutefois souligner ici que, s’il est question de relation tout sauf saine, Morphyne traite très bien le sujet. Il s’agit d’explorer ses rouages, non de romantisation à vous faire lever les yeux au ciel. Comme on avait pu le remarquer avec BEINHAUS : quand on sait s’y prendre, on peut tout faire. (D’ailleurs, les auteurices de La Valse du Chaos ont dernièrement qualifié leur roman de dark romance et… Oui, ma foi oui.)

Déjà, ce qui frappe au premier abord, c’est que c’est très bien écrit. Le style de Morphyne est de ceux qui ont une saveur particulière. J’ai dû me retenir de vous citer des passages entiers de la fanfic pour des raisons évidentes de lisibilité, mais… Bon, quand même, le premier paragraphe, pour vous donner envie :

Il n’a jamais vu son visage après l’amour. Il se contente de rester allongé sur le dos, les mains souvent croisées derrière la nuque, face à l’immensité du ciel qui s’étend devait lui. Il a trop peur d’être, s’il tourne la tête, ébloui comme si les millions d’étoiles au-dessus d’eux se mettaient à exploser en même temps. Il attend toujours qu’elle finisse par se redresser pour enfiler ses vêtements, parce que le mouvement brise la magie de l’instant. Elle est toujours aussi belle, bien sûr, mais il a moins peur de tomber amoureux. Il connaît chaque partie de son corps, chaque grain de beauté, chaque imperfection, bien que ces dernières soient rares. Mais il n’a jamais vu son visage après l’amour.

Salted Wound, Chapitre 1

Le regard d’Armitage sexualise autant Raene qu’il l’idéalise, mais rassurez-vous, on aura également droit au point de vue de la jeune femme au cours du récit. Cependant le personnage principal reste Armitage, et on voit avec quel amour de fan et de créatrice elle le traite. On peut toutefois regretter que le destin de Raene serve avant tout celui d’Armitage et qu’elle n’ait pas complètement son propre arc narratif en dehors des hommes, même si l’on comprend où l’autrice veut en venir. Salted Wound est l’histoire d’Armitage davantage que celle de Raene, et les intrigues de “cour”, si l’on peut dire, prennent une très grande place dans leurs vies. De même que leur couple qui n’en est pas vraiment un, ou peut-être que si. Et puis, le récit est court.^^

Une relation dysfonctionnelle, donc, entre deux personnes qui ne se font pas confiance, qui s’affrontent sans cesse, qui parfois font preuve de violence psychologique ou physique. Ce qui les a menées là est, comme il se doit, décortiqué : leur passé, leurs blessures, bref c’est du psychologique sombre, vous voyez à peu près à quoi vous attendre. Salted Wound est l’histoire de deux privilégiæs, chacun-e à son niveau, qui n’aiment leur vie que quand iels sont ensemble. Iels s’aiment autant qu’iels se méprisent et se méprisent elleux-mêmes. Leur relation paraît souvent n’être qu’un moyen pour elleux ; un moyen de se rassurer, de se libérer ; des rapports purement utilitaires où chacun-e pense avant tout à son propre intérêt. D’autres fois, iels semblent, à leur manière, tenir l’une à l’autre.

La violence imprègne le roman du début à la fin. Une violence désespérée. En plus des relations amoureuses toxiques, il sera question du poids de l’héritage familial, de famille abusive, de culte de la performance, d’autosabotage, de ce que les attentes d’autrui peuvent pousser un être humain à faire d’horrible… La seule trace de douceur semble être la Générale Sloane, la supérieure et figure maternelle d’Armitage. La rencontrer dans Salted Wound nous donne une bonne bouffée d’air frais ! (Je m’interroge là aussi sur son traitement en tant que personnage féminin, mais je suis trop peu sûr de moi pour me prononcer.) En dehors de cette relation, Armitage Hux tente de se faire aimer par son père et, semble-t-il, détester le plus possible par ses subordonnés – se faire craindre, du moins. Grosse ambiance dans les hautes sphères de l’Empire !

Le but de Salted Wound est moins de nous attacher à ses personnages que, comme on le disait, de les observer. Ainsi Armitage Hux, par exemple, m’a souvent agacé ou mis en colère de par sa violence et son immaturité. Elles sont expliquées, bien sûr, et cela nous donne à voir les effets dévastateurs d’un certain cadre et des maltraitances parentales sur la psyché. Armitage est égoïste, pétri de masculinité toxique, replié sur lui-même, adepte du déni et globalement incapable de grandir. Il ignore totalement comment aimer sainement et se connaît très mal lui-même. L’idée de correspondre à ce que son père attend de lui l’obsède.

Raene, de son côté, semble un peu plus attentionnée malgré un certain égoïsme de son côté également. Produit du déséquilibre dans les relations hétéros autant que d’une éducation contraignante mais moins violente, je suppose. Elle vient ainsi en aide à Armitage à plusieurs reprises, tente de lui offrir du réconfort et se remet en question à rebours. Cette relation est tout à fait asymétrique – et, encore une fois, réaliste. C’est un schéma tellement courant…

Salted Wound vaut aussi pour son atmosphère, emplie d’une odeur de pluie et de rouille. Le monde qui se dévoile à la lecture semble plongé dans le noir, ou dans un extérieur gris et humide, sale. C’est un univers qui semble sans joie, malgré des événements parfois heureux, et que l’on déguste avec amertume. Cette ambiance sert le propos. Raene et Armitage représentent tout l’une pour l’autre. Leur environnement ne leur offre que peu d’autres joies. Et lorsque celles-ci se présentent, c’est par le biais de leur relation. Armitage semble, dès le premier chapitre, incapable de prendre part à des festivités si Raene ne l’y entraîne pas. Cela vient évidemment aussi de son mépris paradoxal pour autrui, qui l’isole encore davantage en lui-même.

Dans ces conditions, quand leur seul univers se limite à elleux deux, comment peuvent-iels construire un équilibre ? Pour de telles personnalités, la question se pose d’autant plus. Leur couple pourrait véritablement leur apporter du soutien s’iels ne passaient pas leur temps à se détruire faute de savoir se parler et s’écouter. Ajoutez à cela le fait qu’iels aient toustes deux peur pour leur rang, pour leur place dans la haute société et pour leur liberté, ce qui les pousse à refuser de concrétiser leur relation… En attendant, iels auraient besoin d’une bonne thérapie !

Salted Wound est un roman plutôt court. Morphyne développe cette tragédie tout en allant droit au but. On a, tout au long du récit, une tension très bien maîtrisée faisant de Salted Wound un vrai page-turner. Chacun des cinq chapitres est nommé d’après une des étapes classiques du deuil. Une histoire à ne pas mettre en toutes les mains, au vu des thèmes abordés, mais qui saura être cathartique pour qui la lira.

Et déprimante, peut-être. Nous sommes nombreuxes à rêver d’une relation qui comblera tous nos manques affectifs, qui guérira toutes nos blessures. On aimerait qu’il existe une personne capable de nous sauver. Et nous nous sentons si seul-es, à l’intérieur de nous. Alors nous nous accrochons à une relation, même néfaste, quand elle est un tant soit peu différente des autres. Quand on a l’impression d’enfin pouvoir être aimæ pour qui on est, on est prêt-e à accepter la violence, la souffrance. On pardonne si vite, malgré la douleur, quand on n’a qu’une seule personne.

Lire Salted Wound : Wattpad

Suivre l’autrice : Twitter