Trouver un titre à son histoire, ça demande à réfléchir, n’importe quel•le auteurice vous le dira. Ophélie Héraux, alias @TempsANouveau, a nommé sa fiction Oh My Worst Nightmare d’après les paroles d’une chanson qui lui tient à cœur, ainsi qu’à son personnage principal, Lucas Stewart.

De quoi parle Oh My Worst Nightmare ? De disparitions, de mensonges, de traumatismes, de familles merdiques et, globalement, d’erreurs dont les innocent•es subissent les retombées, ce qui les pousse à commettre des erreurs à leur tour. L’histoire de la vie, pourrait-on dire, dans toute son injustice et sa violence. Car OMWN est violent, parfois même impitoyable. Notre ami Lucas en prend plein la gueule à une cadence infernale dans le tome 1 – vous voilà prévenus, les TW ne sont pas là pour rien.

Ça, c’est pour l’introduction. On pourrait parler du style d’écriture, également – très particulier, parfois froidement journalistique. L’histoire paraît alors se dérouler à des milliers de kilomètres de notre conscience. Autant dire que, dans les instants où nous nous rapprochons brutalement du personnage, ça secoue un peu.

Comme je le disais, on est loin du registre pathétique, de par la distance que prennent les narrateurs avec les événements. Parce qu’il leur serait trop douloureux de plonger plus profondément dans leurs souvenirs, peut-être. Pour garder leurs émotions négatives enfouies. Ce peut aussi être une volonté de l’autrice de ne pas aller trop loin. En tout cas, ça fonctionne, malgré les difficultés que l’on peut éprouver à s’immerger dans le récit quand on en débute la lecture.

Lecture qui demande en effet des efforts au préalable. Oh My Worst Nightmare suscite des résistances d’entrée de jeu, que ce soit par son style ou par ce qui s’y déroule. Ophélie Héraux a souvent dit qu’à son goût, OMWN manquait de réalisme. Irréaliste, OMWN l’est parfois, mais est-ce toujours un problème ? Pas dans la mesure où l’autrice aime jouer avec la vraisemblance pour perturber les lecteurices.

Je pense notamment à ce chapitre charnière du tome 1. Lucas croit voir son père dans une foule. Doit-il accorder du crédit à cette vision ? Il a un stress post-traumatique et de sévères crises d’angoisse, et il le sait. Il peut rêver, il doit rêver même, parce que son père ne peut être là et l’avoir retrouvé si facilement. Lae lecteurice même songe que James ne peut pas être là et que l’esprit du malheureux Lucas lui joue des tours. Sauf que, surprise, il est bien là, à traquer son fils. C’est un pari risqué, qui remet la gravité du traumatisme sur le devant de la scène. Un•e lecteurice habitué•e au trope des hallucinations aura tendance à minimiser cette apparition dans la foule, le trauma se faisant presque rassurant, d’un coup : ce n’est qu’un rêve, il ne peut rien faire au personnage, n’est-ce pas ?

J’ai envie de faire un parallèle avec Invisible Man, sorti début 2020, qui emploie le même type de procédé. L’héroïne est traumatisée et isolée du fait que l’on ne prenne pas son trauma au sérieux, ou qu’on la considère comme une victime perdue à la raison défaillante, prétexte à ne pas accorder d’importance à ses affirmations. Ce n’est pas seulement une manière simple de faire douter lae spectateurice. C’est aussi un rappel que le stress post-traumatique sait être aussi dangereux qu’a pu être l’événement traumatisant lui-même. Vivre avec un SSPT est un combat perpétuel contre soi-même et contre l’environnement.

De façon plus simple, si ce « manque de réalisme » se fait parfois sentir de manière plus aiguë, on l’accepte assez facilement comme faisant partie intégrante de l’originalité de Oh My Worst Nightmare. Le style est particulier, le fond l’est aussi, et une fois que l’on s’est fait à l’un, on accepte rapidement l’autre. Ce n’est bien sûr pas sans produire un effet « écran de fumée », et dans une autre histoire, racontée différemment, ces facilités scénaristiques auraient peut-être été moins pardonnables.

Je pense notamment à certains rebondissements du tome 2. Il y a cet instant où un personnage que l’on n’avait qu’entrevu dans les deux premiers tomes arrive un peu comme un cheveu sur la soupe pour faire avancer l’intrigue, encore que, si l’on rattache cet événement et ce personnage au tome 1, on peut facilement en comprendre la symbolique. Ce personnage a débarqué dans la vie de Lucas sans y être invité, de façon étrange et forcée. Cela ne peut tout simplement pas bien se passer.

Laissons de côté ces considérations sur l’intrigue et parlons de ces fameux personnages. Il était important de parler du SSPT au préalable, et vous allez très vite comprendre pourquoi.

Nous avons donc Lucas Stewart, un jeune homme perdu, rongé par la culpabilité et les traumas. Son ton est étrangement détaché – et sans doute l’est-il vraiment, détaché, mécanisme classique d’autodéfense – et pourtant, il est d’une gentillesse et d’une sensibilité incroyables, dépourvu de toute trace de cynisme. C’est un garçon adorable. Il a fait des erreurs, il subit les conséquences de celles des autres, mais il a gardé cette pureté d’âme terriblement rafraîchissante. Il montre sous ses blessures une force mentale renversante. Et je pense que c’est important à plus d’un titre.

1) C’est important parce que cela apporte de la diversité dans la représentation des victimes de violences. L’archétype de la victime brisée que les traumas ont rendue cynique voire mauvaise a son importance bien sûr, autant du point de vue de l’auteurice qui trouve un exutoire dans la fiction que de celui de lae lecteurice qui s’identifiera à elle et la comprendra aisément. Les victimes du monde réel peuvent se retrouver dans des vécus fictifs, et puis, il est vrai, on s’attache aux personnages qui souffrent – la catharsis, tout ça.

Cependant, les victimes qui gardent l’innocence de Lucas sont extrêmement rares dans le paysage fictif. Manque de réalisme ? Ça se discute. Toutes les victimes ne restent pas blessées à jamais. Les séquelles sont là, mais un événement isolé, malgré ses répercussions, n’écrira pas toujours notre vie jusqu’à sa fin. Lucas nous encourage-t-il ? Nous offre-t-il de l’espoir, ou fait-il office d’idéal inatteignable ? Je suppose que chaque lecteurice verra la chose différemment.

Bien sûr, on retrouve bien des personnages qui se remettent de traumatismes. Le processus est alors lent. Il suit le rythme de l’intrigue, et on reste bien loin de cette innocence qui caractérise Lucas.

2) On s’attache beaucoup à montrer les défauts de nos protagonistes en écriture. Cela semble un incontournable pour les rendre humain•es, réalistes. Les personnages trop parfaits ennuient. On ne s’y identifie pas, peut-être les envie-t-on, quelque part. En tout cas, on les connaît déjà.

Mais un personnage humain ne se contente souvent pas de commettre des erreurs ; on s’attardera aussi sur la fameuse par d’ombre qui, semble-t-il, est inhérente au genre humain. Et là, Lucas renouvelle l’écriture de personnages fictifs. Parce qu’il est fondamentalement bon. Il a ses failles, mais ce sont en réalité des moyens qu’il a trouvés de survivre face à la violence. Il a pu se tromper, faire des erreurs, mais il a les meilleures intentions du monde.

Dans une interview que vous pouvez retrouver en cliquant sur ce lien, une question est posée à Ophélie : « Est-ce possible, selon vous, une personne aussi tendre et gentille [que Lucas] ? » Et elle répond oui. La bonté humaine existe, elle y croit. Et je trouve ça important dans un monde qui se casse la gueule et où voir la réalité en face semble impliquer de considérer l’ensemble de son espèce comme profondément mauvaise et méritant son sort. Lucas, Jay et d’autres sont hautement inspirants dans leur gentillesse. M’est avis que, le monde de la fiction nous ayant habitué•es à bien peu de pureté dépourvue de mièvrerie ou de niaiserie, c’est un joli tour de force. Plus : c’est un acte de résistance. C’est une preuve que, quelque part, la lumière brille encore.

Lire l’histoire : Tome 1Tome 2Tome 3

PS : Si vous aimé Oh My Worst Nightmare, il se pourrait que L’Envol du Corbeau vous plaise aussi. Je vous dis juste ça comme ça, en passant !