Vous aimez le méta ? Ça tombe bien, dans Midnight City, il y en a à foison. Le sujet central de ce roman de Rozenn Illiano, alias @Onirography, est bel et bien l’écriture, notamment le rapport que l’écrivain•e entretient avec son œuvre, avec ses lecteurices, et le rapport de lae lecteurice à l’histoire également. Il en résulte un roman riche et personnel. Je vous encourage d’autant plus à le lire qu’il s’agit d’autoédition ! Eh oui, je continue sur ma lancée en lisant des auteurices indépendant•es. Vous vous doutez déjà que mon avis et positif, mais détaillons un peu.

I) Le moteur de l’imaginaire

Tout commence dans la ville de Midnight City. Ses habitant•es, les Nocturnes, vivent une nuit perpétuelle, au rythme des pulsations de la Grande Horloge. C’est une mécanique essentielle à ce monde, dont les aiguilles ne sauraient cesser leur manège, sous peine de livrer la Cité aux cauchemars.

En parallèle, nous suivons les galères de Samuel, auteur à succès malgré lui. La perte de contrôle de son œuvre l’a condamné au tant redouté syndrome de la page blanche. La pression que lui imposent ses fans, son éditrice et son agent le bloque horriblement. Pourtant, il lui reste des choses à écrire. Il le sent. Ainsi, la proposition d’Adam Remington de lui servir de mécène le temps qu’il écrive son prochain livre semble une bénédiction.

Et on va essayer de parler de tout ça sans spoiler. Oui.

Comme je le disais, Midnight City débute dans une ville plongée dans la nuit. Cela nous donne un bon lot d’images poétiques et sombres, à l’esthétique gothique et steampunk. En voyant vivre la Cité, je me suis rendu compte, ou rappelé, que j’avais toujours rêvé de lire ce type d’univers, combien j’étais attachée à cet onirisme, à ces mondes qui défient les lois connues mais qui sont possibles dans nos imaginations.

J’ai pu laisser libre cours aux fantasmes de mon imaginaire, annihiler toute incrédulité et croire à l’impossible, et j’ai adoré ça. Bien sûr, la suspension de l’incrédulité est un incontournable quand on parle de fiction, mais ces temps-ci, la mode est à la vraisemblance. Je me suis récemment remise à lire les contes d’Andersen et de Grimm, et les univers dépeints dans ces histoires, que l’on classe dans le genre du merveilleux à l’école, nous entraînent si délicieusement loin… Et ça nous manque, en tant qu’adultes. C’est incroyable, tout ce qu’on nous vole pour nous laisser grandir.

L’histoire se poursuit dans un univers qui nous est bien plus familier. Apparaissent alors des questionnements terriblement intéressants sur le métier d’auteurice. Oui, c’est surtout ça que j’ai retenu des passages dans la vie de Samuel Hugo, sans doute parce que je suis autrice moi-même. J’adore parler d’écriture et écouter mes collègues en parler.

II) Les deux faces de la pièce

Midnight City se divise en deux parties distinctes : l’émotion et l’émerveillement dans le monde des Nocturnes, et les réflexions de Samuel sur son travail, la partie la plus « intellectuelle » si je puis dire !

Le style d’écriture s’en ressent, d’ailleurs. Ça m’a un peu rebutée au départ, dans le sens où je trouvais dommage de passer de l’onirisme du monde de la nuit au réalisme factuel du monde « réel ». En réalité, c’est tout à fait logique. On peut même imaginer que le style d’écriture change en fonction de lae narrateurice. Le style racontant la vie de Samuel est donc plus simple, des nuances plus ternes de la vie, si on le compare à la narration du monde des Nocturnes. Cela renvoie à une vision du monde particulière. Le monde réel, désenchanté, laisse peu de place à la poésie des Nocturnes. Cette différence de style a une raison d’être.

III) Réflexions autour du métier d’auteurice

Vous savez, il existe tout un tas de mythes autour du job d’écrivain•e – comme autour de beaucoup de métiers, évidemment. Reste que ce travail est très sacralisé et, si moi-même j’entre dans beaucoup de ces clichés (oups), je me suis ouverte à des possibilités qui feront peut-être grincer des dents quelques puristes. Iels apprendront pourtant, dans le roman de Rozenn Illiano, que toustes les auteurices ne cherchent pas le succès, que toustes n’écrivent pas leur vie entière – qu’iels n’en sont pas moins légitimes pour autant -, que certains écrits sont faits pour rester secrets, blottis au chaud dans le cœur de leur créateurice ; que toustes les écrivain•es ne rêvent pas de vivre de leur plume, pour tout un tas de raisons qui se valent…

Et parler de tout ça, c’est cool. Entendre un discours qui va à contre-courant, c’est cool. Lire des mots réconfortants qui nous font relativiser la recherche de validation sociale, c’est cool. Midnight City est empli à ras bord de bienveillance, malgré un ton parfois triste, mélancolique voire amer.

Rozenn Illiano nous parle aussi des sources de la création, de l’exorcisation des démons par l’écriture, choses dont bien d’autres ont parlé, mais là encore, l’autrice est très personnelle et sincère – et ce mot fait toute la différence. Je ne dis pas que les autres auteurices ne sont pas sincères, évidemment ! Mais ça fait toujours du bien, un•e artiste qui crée et nous parle avec ses tripes, non ? La preuve : Midnight City m’a laissé son empreinte dans le cerveau. Je sais que je le relirai. Il y a à mes yeux tant d’analyses à faire, de théories à tester, de réflexions à mûrir.

Je me contenterai de conclure sur ces mots : pour les éléments évoqués, et pour plein d’autres dont je ne vous gâcherai pas la découverte, Midnight City fait partie de ces œuvres qui peuvent contribuer à rendre le monde meilleur, et je voudrais pouvoir rendre justice à tout ce qu’il a à nous apprendre sur l’art, sur le rapport aux autres… et sur la création de personnages, aussi. Oui. Vous verrez.

Pour vous procurer Midnight City, c’est ici.

Si vous voulez lire ma chronique précédente, c’est juste là !