
Si vous me connaissez, cela vous étonnera peu : je ne lis pas beaucoup de romance. Ce qui m’a conduit-e à Nos larmes sous la mer ? La couverture, déjà. Non, il ne faut pas juger un livre à sa couverture, mais… Avouez qu’une belle couverture, ça fait la différence. Et celle-ci avait l’air toute douce au toucher, en plus. Oui, chez moi, c’est important.
Deuxième chose : j’ai pu lire Nos larmes sous la mer sur Wattpad, à l’époque où on l’y trouvait encore en intégralité. Je crois que c’est le titre qui m’avait intrigué-e. Et puis les romances lesbiennes, écrites par les concernées, c’est cool, tout simplement. Loin de la fétichisation outrancière ou de la lesbophobie latente de certains récits, Jo Riley-Black nous offre ici une histoire d’amour toute douce entre deux adolescentes. S’y greffent bien évidemment les problématiques propres à l’adolescence. L’une d’elles, si nous ne la traversons pas toustes à cette période de la vie, est aussi importante que douloureuse : la perte d’un être aimé.
En effet, lorsque Nos larmes sous la mer débute, Linda, notre héroïne, vient de perdre Margot, sa meilleure amie, dans des circonstances tragiques. Elle tente depuis un an de faire son deuil, entre sa solitude, sa passion pour les chevaux et sa famille. Ses journées au centre équestre s’imposent d’emblée comme les meilleurs moments de sa vie, sa seule bouée pourrait-on dire. Sa bande de potes s’est éloignée d’elle après la mort de Margot et ses parent-es, s’iels sont bien intentionné-es, l’étouffent (on va y revenir). Cependant, il y a son frère, Pierre. Toustes deux sont très proches et savent se ressourcer mutuellement.
Linda doit aussi vivre avec ses regrets. Amoureuse de Margot depuis toujours, elle ne lui a jamais avoué ses sentiments. De cette malheureuse histoire, elle va pourtant tirer la résolution de s’assumer en tant que lesbienne. Ce qu’elle va apprendre à son rythme, avec quelques ratés tout à fait naturels. Sa rencontre avec Yenny pourrait bien l’y aider…
Vous voyez donc où Nos larmes sous la mer va nous emmener. Maintenant, attardons-nous sur les détails de l’histoire et la toile de fond.
Avant toute chose :
Nos larmes sous la mer comporte des personnages racisés et aborde parfois la thématique du racisme. N’étant pas racisé-e moi-même, je ne suis pas læ plus légitime pour donner mon avis sur cette facette du roman, d’autant que Jo Riley-Black est elle-même racisée. Elle sait donc très probablement mieux que moi de quoi elle parle !
Stress post-traumatique et psychophobie
On va parler ici d’un thème de Nos larmes sous la mer qui m’a particulièrement touché-e.
L’accident de Margot a bien évidemment traumatisé Linda. Elle fait depuis des crises d’angoisse violentes et sort tout juste de la dépression qui s’en est suivie. D’où la complication de ses relations avec ses parent-es. Iels la surprotègent, l’étouffent, si bien qu’elle cache son mal-être quand elle l’éprouve.
Elle a également été victime du milieu psychiatrique. Je n’entrerai pas dans les détails ici afin de ne pas rendre la lecture de cette chronique éprouvante, mais la lecture de Nos larmes sous la mer a parfois pu l’être à ce niveau. On ne nous montre rien, en réalité. Rien, si ce n’est les souvenirs de Linda et ses ressentis. Rien, si ce n’est l’impact de ces mauvais traitements sur l’anxiété et l’estime de soi.
Adolescente cherche self-esteem désespérément
C’est un passage quasi obligé pour une adolescente dans ce monde. L’auto-dépréciation, la difficulté de trouver du bon en soi, la peur de décevoir les autres et de se décevoir soi… Linda est globalement dépourvue de confiance en elle-même et son traumatisme ne l’aide bien sûr pas. La culpabilité est aussi là. Linda se sent coupable de ne pas avoir empêché la mort de Margot, d’être toujours en vie « à sa place », d’éprouver des sentiments pour quelqu’une d’autre. Si l’on y ajoute les traitements infantilisants de sa famille et des médecins, que peut-il bien se passer ?
Sans surprise, elle éprouve un sévère complexe d’infériorité envers Yenny. Pourquoi une fille aussi belle et forte s’intéresserait-elle à elle ? Une thématique classique en young adult comme en romance, en réalité. Et c’est là qu’on va parler d’un aspect de leur relation qui m’a, de façon très personnelle, mis-e un peu mal à l’aise.
Des relations déséquilibrées…
C’est quelque chose que j’ai souvent vu en romance, là aussi. Peut-être parler de déséquilibre est-il un grand mot. Reste que l’un-e des deux partenaires est souvent plus entreprenant que l’autre. C’est ellui qui va mener la danse et, il faut le dire, prendre l’ascendant sur l’autre. Ici, c’est Yenny qui tient ce rôle.
Comme je l’ai dit plus haut, leur histoire est pleine de douceur. Mais il m’a semblé que, parfois, Yenny était « trop entreprenante », allant au-devant des désirs de Linda. Alors certes, elle respecte ses « non », mais que se passe-t-il exactement, quand aucune parole n’est prononcée ? (Je ne dis pas que le consentement verbalisé est un moyen sûr que la relation soit safe, loin de là.)
Beaucoup de relations humaines sont bancales (j’en écris moi-même). Le problème n’est pas là. En l’occurrence, et dans l’impossibilité d’avoir accès au point de vue de Yenny, j’ai eu le sentiment qu’elle profitait parfois du manque de confiance de Linda. Cette impression s’est quelque peu atténuée quand les rôles se sont momentanément inversés et que Yenny s’est confiée à son tour, s’appuyant sur Linda comme l’inverse s’est si souvent produit.
Ce ressenti vient peut-être de mes traumas, ou de mes attentes personnelles ? J’ai vécu des relations cishétérosexuelles violentes et inégalitaires. Il m’arrive de me dire qu’éviter ce schéma me garantirait une forme d’équilibre. Erreur de ma part ? Peut-être. En tout cas, partout où je pose les yeux, en littérature ou ailleurs, il y a un-e partenaire qui impose tout à l’autre, sans que cela soit remis en question. Et cette hiérarchie me met mal à l’aise.
Mais.
… ou le reflet du manque de confiance ?
On tente de pousser un peu l’analyse de personnage ? On tente. Vite fait.
Je pense que Linda cherche à être rassurée et valorisée en tant que personne. Et que c’est le cas de beaucoup d’ados. Ça a été mon cas. Je suis sorti-e avec des personnes qui m’écrasaient psychologiquement mais aux côtés de qui je me sentais privilégié-e. Excessivement chanceuxe. Des personnes sûres d’elles et qui me donnaient l’impression que je pouvais être à la hauteur d’êtres aussi merveilleux qu’elles, puisqu’elles acceptaient d’être avec moi.
Pour Linda, sortir avec Yenny, c’est aussi réparer son image d’elle-même. Elle est amoureuse d’elle, mais a aussi besoin de la preuve qu’elle peut être aimée d’un être exceptionnel. Yenny est belle, forte… Le regard de Linda lui donne des allures d’icône. C’est fréquent en romance, ça aussi. Le love interest du personnage principal semble inaccessible pour finalement se tourner vers lui. Un-e lecteurice en manque de self-esteem – on est nombreuxes ! – s’identifie et se trouve projeté-e dans ce qui apparaît comme un rêve quand on referme le livre. (Des tas de sources parleront de ça mieux que moi, je vous rassure.)
Or Nos larmes sous la mer s’ancre dans le réel, avec deux héroïnes lesbiennes. Ce que ça change ? D’une, les lesbiennes aussi ont le droit de rêver, et d’autant plus quand elles sont aussi jeunes que Linda et Yenny. De deux : elles ont besoin de savoir que oui, elles peuvent rencontrer quelqu’une de bien, d’incroyable même !
Mais… mais ça m’embête. Le fait que Yenny semble donner le la du début à la fin m’embête. Cette relation se construit sur cette hiérarchie et semble se poursuivre en ce sens. Et Linda suit Yenny, par timidité, par peur de mal faire, n’osant que rarement prendre des initiatives. Il semblerait qu’une personne manquant de confiance, a fortiori une fille/femme, entre obligatoirement dans un rapport de domination quand elle entame une relation – et c’est souvent vrai (là encore, d’autres en parlent). Vrai, mais souhaitable ? Linda et Yenny semblent toutefois heureuses dans cette configuration. Mon point de vue peut n’être donc que personnel, et cette histoire, devoir être considérée à l’écart des autres romances, surtout hétérosexuelles… J’ai pu rater quelque chose, une spécificité de cette histoire-là. Je ne sais pas.
Unies face à la violence systémique
J’ai été heureuxe de constater que lors de discussions houleuses, nos héroïnes parvenaient à s’écouter l’une l’autre. La communication passe, y compris pour les sujets importants ou délicats. J’ai particulièrement apprécié leurs dialogues sur leurs familles respectives. Chacune a son vécu et ses difficultés, sa façon d’appréhender son homosexualité en fonction des contraintes externes. Question de survie dans une société lesbophobe.
Car bien évidemment, Linda et Yenny auront du mal à passer à côté. Il sera notamment question d’agression verbale et physique, de cyberharcèlement, et aussi d’homophobie au sein de la famille. Bref, sous ses apparences de feel-good, Nos larmes sous la mer arrive dans nos bibliothèques avec son lot de violence, symbolique ou non. La violence de la société face à l’homosexualité. MAIS : là encore, rien ne nous est montré de façon injustifiée, et Jo Riley-Black préfère s’axer sur les personnes queers et leurs allié-es dans la lutte. La violence est là, mais nul-le n’est seul-e face à elle : tel semble être le message de l’autrice. Et ça fait du bien. Ce traitement rejoint celui du deuil et des traumas, puisqu’on va voir Linda s’en relever petit à petit. Ne pas taire la violence tout en montrant qu’on peut s’en sortir, c’est un oui !
La happy end qui s’en vient
J’ai envie de vous parler d’une bonne surprise que Nos larmes sous la mer m’a faite. Vous voyez les scènes de transformation de l’héroïne dans les teen movies ? Ici, Jo Riley-Black détourne le trope pour le meilleur et pour le sourire ! Vous verrez, vous verrez ! (Du coup je n’en aurai parlé que brièvement, mais je vais finir par tout vous spoiler salement si je continue.)
Cette scène détournée s’inscrit dans le parcours de Linda vers la guérison et l’acceptation de la jeune fille qu’elle est. Nos larmes sous la mer se veut résolument et radicalement positif, c’est-à-dire positif sans être naïf. Ainsi en est-il de la fin de l’histoire qui, si elle est belle, n’est pas sans nuances de gris. Mais qu’est-ce qui importe réellement, en réalité ? Quand on est enfin heureuxe, de quoi peut-on encore se soucier ? Pas des gens qui trouvent quelque chose à redire à notre bonheur, en tout cas !
Comme le dit Jo Riley-Black en dédicace : Aimer et votre droit. Et il est inaliénable.
Conclusion et ressenti global
Et l’expérience globale de lecture, alors ? Et le style ?
Nos larmes sous la mer se lit plus vite que son ombre ! C’est un petit pavé, mais vous l’aurez, je pense, très vite bouffé. C’est très fluide, avec des chapitres hyper courts. Bref : sur la forme, c’est détente/20. J’ai toutefois repéré quelques coquilles (j’arrive pas à ne pas y faire attention, y compris pour mes propres écrits… On parle très bientôt de mon récent moment de panique totale). Malgré ça, je tiens à saluer le travail des Éditions de l’Opportun, qui semblent savoir faire leur taff et accompagner leurs auteurices comme iels le méritent.
C’est agréable à lire, c’est dans les codes de la romance YA, c’est cohérent. Les sentiments passent et la mélancolie de Linda nous est très bien transmise. Le côté sensoriel, aussi. Eh oui : l’amour et les émotions liées, c’est aussi des sensations physiques ! Jo Riley-Black rend son récit très vivant avec ce genre de détail – et j’y suis giga sensible, soyons franc-hes.
Je ne sais que rarement à quoi m’attendre avec Jo Riley-Black tant son style peut varier d’une histoire à l’autre ! Nos larmes sous la mer ne ressemble que peu à Lament Lake et absolument pas à Mémoires de Thirgoths. C’est une autrice qui expérimente, qui touche à tout un tas de choses, qui teste tous les genres. Il semblerait bien qu’avec elle, chaque nouveau roman soit une surprise ! Et concernant Nos larmes sous la mer… je pense le relire. Parce que l’expérience sensorielle est vraiment agréable et que mon cerveau en redemande.
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